- GÊNES (histoire de l’art)
- GÊNES (histoire de l’art)GÊNES, histoire de l’artPétrarque disait Gênes une «ville d’une posture impériale, assise sur des collines sauvages, superbe de ses bâtiments et de ses murailles». Telle est l’apparence première de cette république de marchands, artificieusement serrée sur fond de roc, de féodalité et de brigandage; mais qui dominera, au XVIe siècle, le marché de l’argent, ignorante de l’arrière-pays. Encaquée entre port et montagne, l’ancienne Gênes s’élève tout en hauteur et fait l’économie des profondes perspectives dans un orgueilleux désordre de maçonnerie où règne le génie des métamorphoses. Fardé en trompe l’œil, le palais du Settecento garde l’appui des murailles médiévales; les temples romans haussent leurs voûtes sur des chapiteaux romains; le stuc baroque brode sur le gothique, les façades rapiècent des pans de tous âges. Époques et styles se chevauchent pour remplir au plus juste les chiches mesures de l’espace: des palais superbes, de nobles bâtisses qu’ailleurs on eût isolés pour en marquer l’ampleur ne laissant pour le passage que de profondes ruelles, les carrugi , qui sinuent loin du ciel.Les contreforts de l’Apennin ligure ont fourni aux maçons génois leur fine pierre colombine; le promontoire de la Lanterne contenait des lits d’une pierre noire que l’on voit encadrant les portes; des façades nobles la font alterner avec des bandes de marbre, c’était là privilège qui signalait les mérites que s’étaient acquis les Doria, les Spinola, les Fieschi ou les Grimaldi. Sur la façade de Saint-Laurent, la saveur orientale de cette bichromie murale s’attache au parti d’Île-de-France des porches. La grise flamboyance des lavagne , un calcaire schisteux indigène, achève sur les toits le caractère minéral de la cité.Quand les grandes familles marchandes n’eurent plus à tenir forteresse dans leurs murs, elle affichèrent leur puissance dans l’ornement; Gênes s’enorgueillit alors de l’ordonnance rectiligne de la via Garibaldi, l’ancienne via Nuova, que les vieux citoyens continuent d’appeler Neuva dans leur dialecte; plus tard, on ouvrit la via Balbi, d’abord Nuovissima, droite, longue, mais étroite, que flanquent les orgueilleuses façades du Palais royal, du Collège des Jésuites, et quelques autres palais que Rubens admiratif grava. Mais le luxe éclatait surtout dans l’ordonnance parfois répétée des fastueux cortili autour desquels étaient disposés de très hauts étages. La prospérité bourgeoise du XIXe siècle se sentant à l’étroit dans les anciennes limites, des quartiers neufs parurent à l’est où l’on eut soin d’ordonner de grandes perspectives monumentales. Le régime fasciste continua: on lui doit la vaste ordonnance de la piazza della Vittoria.Autre notable singularité, le cimetière monumental de Stegliano, achevé en 1851, qui compose en une grandiose fantasmagorie l’image inversée de la cité bourgeoise. Les tombes sont empanachées de simulacres glorieux. La confrérie des survivants a pris pour les disparus la décision de paraître en posture minutieusement calculée. Gens de pierre et de bronze viennent, ne savent plus repartir, s’invitant à leur célébration obstinée. Spectacle incessant, inépuisable revanche pour des bienheureux pétrifiés selon l’ordre d’une exposition universelle; leur vie minérale se conforme à des biographies à jamais exemplaires.Les Français d’aujourd’hui ne goûtent que rarement Gênes: ils n’y passent que contraints, ne s’y arrêtent que forcés. De même que les dilettantes du «grand tour» qui souvent l’ignoraient. Bien injustement! Comment méconnaître, en effet, les profondes impressions avouées par ses visiteurs illustres, sur des tempéraments aussi divers que ceux de Rubens, du président De Brosses, de Flaubert, de Musset, de Maupassant, de Wagner et de Nietzsche, de Valéry et de Suarez? Il est vrai qu’ils ne connurent pas une cité que ravagent de mécaniques frénésies.
Encyclopédie Universelle. 2012.